(Palais impérial) Audiences

Il y eut un mouvement parmi les vassaux, et un homme en émergea : Conrad Molenkopv von Zabrücksi. Son pas pesant résonna tandis qu'il s'avançait vers son souverain.

Il s'inclina un bref instant, et un rayon de lumière éclaira son visage. Tous virent qui il était : un homme, jeune, au visage marmoréen aux mâchoires serrées et aux yeux étincelants. Cette dureté venait des épreuves passées : le reniement par les siens, les durs combats en Zaxe, les grands coups d'épée sanglants, les massacres, les pénitences douloureuses, l'exil. Sa vigueur venait de son appétit féroce pour toutes les gourmandises de la Création : les femmes, l'argent, les dorures, l'or.

- Sire ! Vos troupes sont prêtes. Mille sergents d'armes et cent braves hommes à cheval. Faut-il mater quelque félon ou rendre à l'Empire ses frontières, qui sont celles du monde qui connaît les ors gracieuses de Venyz et de votre gloire ?

On ne discutait point les intentions de l'Empereur, et ce n'était pas dans les intentions du chevalier. Il était grand temps d'interrompre le flux qui en renforçant l'élément slave sur les marges orientales de l'Empire le menaçait. De plus, il était grand temps que les Boldaniens, qui avaient réussi à ériger un frêle état, réalisent que leur place était au sein de l'Empire et que la Providence attendait d'eux, qu'ils vivent, travaillent et meurent pour la gloire de Venyz.

- Sire, notre empire n'a pas de fin ! Les coquins boldéniens vont rentrer dans le rang. Je charge nos nefs d'asttaquer les abominatifs. Longue vie à notre Sire !

Alors que l'assemblée acclamait ce qu'on n'appelait pas encore un casus-belli, le Zabrücksi songeait à l'opération juteuse qu'il allait réaliser. Pour ses bons services, l'Empereur lui octroiera en esclavage les slaves pris. Les hommes étaient paraient-ils de rudes travailleurs et les femmes de belles beautés blondes qui lui rappelleraient les douceurs de celles de sa mère patrie.

La petite cueillette aux champignons slaves avait été très fructueuse. Molenkopv y avait gagné l'estime de son souverain en même temps qu'une passionnante mission, une véritable quête !

- Sire ! Les mers sont nôtres ! Venyz gouvernera les mers et les âmes ! Je vous promets moult nefs, barges, galées et cogues !

En un mot, Molenkopv était comblé. L'évocation de l'amour par son suzerain le mettait mal à l'aise. Il laissait ses niaiseries de femelles aux troubadours et autres godelureaux courtois. Point d'amour pour la Slavonne, même si Zabrücksi, ne trainant point, l'avait déjà engrossée…

Le marchand podestat s'avança, abordant une mine fort humble, fasciné par son audace, subjugué parce qu'il s'apprêtait à s'adresser directement à celui qui, il en était intimement convaincu, était appelé à régner sur tout le monde connu.

- Sire. Je suis votre loyal sujet, le podestat Felix Lussacys de Roccamandolfys à Ys. Vous n'aurez pas à vous plaindre de mes services. Je suis un marchand consciencieux, fidèle à votre couronne et bon zorthodoxe. Mes gens me trouvent bon et mécène, et mes Slavons sévères mais justes.
Aussi, j'ose, avec humilité, et sans que je la mérite, demander, par votre main souveraine, l'autorisation de faire commerce des esclaves que nous prendrons dans nos campagnes maritimes. Mes associés peuvent témoigner de ma probité et de l'excellence de mes produits. J'ai vendu plus de quatre cent Skotinecques, sans qu'aucun ne fasse défaut à sa tâche.
Si Messire le Comte Grand Amiral est prêt à travailler avec moi, je ferai fructifier ses prises pour le plus grand bien de votre trésor et le seconderai avec les talents que les Dieux m'ont donnés à la gloire de Venyz et à la renommée de votre couronne.

- Sire. Lussacys m'est tout à fait agréable. J'ai ouï ses mérites et je vous recommande de lui donner satisfaction.

Vincenzo Lusaccys, fils d'un père qu'il avait souvent déçu, vivait un rêve éveillé.

- Sire ! Je suis votre éternel abonné. Par les Dieux, ma lame est vôtre, et je jure de me battre pour vous, dussé-je affronter les démons des portes des enfers !

Le triomphe de Conrad était absolu. Lors de la cérémonie, les bourgeois d'Abbydos avaient remis les clefs d'or à l'Empereur, mais c'est lui qui les avaient introduits auprès de l'Auguste.

Conrad n'avait qu'une obsession : restaurer l'Empire. Il la partageait avec l'Empereur, et instinctivement, les deux hommes se comprenaient. Aujourd'hui, il savait que son souverain tirait les mêmes conclusions que lui. Ys avait mis un pied sur le continent et avait conquis la plus riche de ses cités. Deux pierres d'un coup !

La gloire personnelle du chevalier ne lui importait que secondairement, mais être reconnu comme le seigneur de la cité conquise lui donnait un peu le tournis. Il était le second homme de l'Empire. Vérance le concurrençait certainement, mais Conrad avait pour lui l'ancienneté. Et puis, l'Empereur très habilement avait grosso modo fixé les sphères d'influence des uns et des autres : Vérance à l'ouest, Zabrücksi à l'est. La manœuvre était finaude, les ambitions des vassaux ne se télescoperaient pas.

- Sire ! Mon honneur s'appelle fidélité et la hardiesse que vous me reconnaissez ne sera jamais démenti. Je pars sur le champ pour Abbydos y édifier le palais, qui aura l'honneur de vous recevoir, quand nous partirons ensemble guerroyer pour recouvrer les terres jadis impériales !